vendredi 31 décembre 2010

Goblins et farfadets

Troisième gentilhomme

Avez-vous assisté à la rencontre des deux rois ?

Deuxième gentilhomme

Non.

Troisième gentilhomme

Alors vous avez manqué un spectacle qu’il fallait voir – et dont on ne peut parler.

Le Conte d’hiver de Shakespeare (Acte V, Sc. 2)

 Moi non plus, je ne peux pas parler du spectacle que j’ai vu hier à la Roundhouse, un théâtre proche de Camden Town... car, comme le conclue un de ces gentilshommes après justement l’avoir conté par le menu: il « défie toute description ». La pièce, une comédie, sur le papier, ne me faisait pas rire. Je la trouvais violente (un enfant meurt, un homme est dévoré par un ours, un roi est pris de folie jalouse sans raison aucune...), j’avais l’impression qu’on courait partout pour un oui pour un non. J’étais arrivée à me persuader que Shakespeare s’était mis la plume dans l’oeil ! Mais sur scène, elle est hilarante, vraiment, on est plié en deux de rire, tous les symboles, les allusions, prennent corps. Il y a des lenteurs admirables – insoupçonnées à la lecture d’un simple amateur comme moi – et des moments où on pleure... mais pas de rire : quand la reine se défend devant le tribunal, qu’elle arrive en chemise, les pieds nus et sales, nous qui l’avions connue superbe dans une robe de soie et en brodequins, on aurait dit la reine Marie-Antoinette devant Fouquier-Tinville, dans l’esquisse qu’en fit David.

Les comédiens de la Royal Shakespeare Company étaient magnifiques, leurs costumes inventifs et la mise-en-scène étonnante surtout pour l’usage du livre, le livre en tant qu’objet car la scène était jonchée de livres. Au départ il y a sur la scène deux immenses bibliothèques. Quand quelque chose « pourrit dans le royaume » de Léonte, elles s’écroulent et tous les livres s’abattent sur la scène dans un grand fracas. Les feuilles des arbres de la forêt sont des feuilles de livres, et l’ours... l’ours est une marionnette immense, terrifiante, en papier qui jette des éclairs, la neige qui tombe sur Autolycus à la fin, c’est des confettis... et les costumes de la danse paillarde de la Fête des tondaisons sont aussi de papier (elle m’a fait penser à la scène du Carnaval dans le Retour de Martin Guerre ou la danse de fin dans Zatoichi de Takeshi Kitano). Une vraie merveille, dont je ne pourrais parler sans la dénaturer !

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