jeudi 31 mars 2011

Cultiver mon jardin


Ça m’arrive toujours en mars. Dès que les jours s’allongent, moi, je me lève. Je me réveille à pile 4h30 du matin. C’est absolument génial. Ce qui m’arrive aussi en mars, c’est un besoin de renouvellement irrépressible. Ça se traduit par un grand ménage chez moi où je dois me freiner pour ne pas tout jeter ou donner. Je brûle presque tout ce que j’ai adoré. J’ai vraiment l’impression que tout s’arrête, que tous les processus arrivent à leur fin, et que je vais prendre une autre direction. Une idée a commencé à germer en moi bien avant le mois de mars, et elle n’attend qu’un peu de place, de vacance, pour fleurir. Ça se passe toujours comme ça, je n’y peux rien. Mais malgré ça, chaque année, j’oublie que ça va avoir lieu. Cette année je me suis encore fait cueillir par surprise. Il y avait pourtant des signes avant-coureurs.
La semaine dernière, à Oxford, j’ai pensé, en regardant les journaux intimes du poète Shelley et ceux de sa femme Mary : « ça donne envie d’en écrire un ». Sur les siens Shelley dessinait, des arbres, des bateaux, faisaient ses comptes... Dans une vitrine on pouvait lire une lettre de Mary qui demandait qu’on lui fasse parvenir en Italie une caisse de ces journaux, toujours les mêmes, achetés dans une banale boutique de Londres je crois, pour que le couple puisse continuer leurs journaux respectifs. Il y avait aussi le « Journal of Sorrows » de Mary, commencé à la mort de Shelley, le 8 juillet 1822. Dans le train de retour j’ai pensé que je ne pouvais pas écrire de journal intime, que ça m’ennuyait. Mais que j’avais besoin d’intimité. J’avais envie de devenir très secrète. C’est exactement ça, « j’ai envie de devenir très secrète ».

Et vendredi dernier, en traversant le British Museum, peut-être parce qu’avec la verrière qui sert de toit on se serait cru dans une serre, la fleur s’est ouverte. Je le traversais par hasard, pour aller prendre mon bus de l’autre côté, mais le hasard a bien fait les choses. Ces cinq minutes de traversée m’ont tout fait comprendre. J’ai compris que je m’étais perdue de vue. J’ai passé les grilles du British Museum en réalisant que ce dont j’avais le plus envie/besoin en ce moment c’était de cultiver mon jardin secret et que pour ce faire ce blog aussi devait partir en vacances. Merci à toutes celles et ceux qui m’ont suivie jusqu’ici.

mercredi 30 mars 2011

Sur les rails 2

« Vous croyez que nous vivons dans un monde de bisounours ? »
Quelle horreur d’expression !
Quand je l’entends j’imagine une sorte de Planète des Singes !
Ils nous mènent à la baguette et ils ont de grandes dents acérées.
Pourtant que c’est bon de se laisser aller à la douceur et de vraiment se sentir heureux, vraiment, vraiment, vraiment...
Croire pour une journée au moins que la vie sera tout le temps comme ça...
Sur les bords de la voie ferrée, c’est surtout des Playmobiles que je voyais, chaussés de grosses bottes, gantés d’orange, casqués de blanc, dans un petit costume jaune fluo du plus bel effet...
Mais soudain l’actualité se rappelle à nos bons souvenirs
A un moment donné, changement de rythme : aux bâtiments et aux usines, succède la rase campagne pendant un certain temps, les champs à perte de vue, une rivière qui serpente, quelques animaux, beaucoup d’oiseaux... jusqu’à la réapparition d’usines et de bâtiments signalant l’approche d’une ville importante. Quelle poésie des formes et des couleurs !

mardi 29 mars 2011

Sur les rails 1

Entre Londres et Oxford, par une matinée ensoleillée...
Je souriais béatement, je marchais avec entrain.
J’étais si heureuse que tout me paraissait beau et sensuel.
J’avais envie de tout serrer dans mes bras,
Les hommes, les bêtes, les bâtiments
Surtout les bâtiments me semblaient désirables.
Et les usines qui jalonnaient la voie ferrée
Tout était beau
Les grosses brioches métalliques
Tambours africains
Récipients en bambou pour raviolis vapeur
Toutes les matières et les formes me sautaient aux yeux
Les ronds, les oblongs, les carrés, les rectangles, les triangles
L’azur du ciel et les couleurs de l’arc en ciel
J’écarquillais les yeux devant tant de beauté
J’étais à la parade

Tout était simple et beau

lundi 28 mars 2011

Un air fin et Watteau (Proust)

Commençons cette semaine avec, dans les bagages, un peu du beau et de l’inspirant de la semaine dernière : Watteau en particulier.
La vie d’Odette pendant le reste du temps, comme il n’en connaissait rien, lui apparaissait avec son fond neutre et sans couleur, semblable à ces feuilles d’études de Watteau, où on voit çà et là, à toutes les places, dans tous les sens, dessinés aux trois crayons sur le papier chamois, d’innombrables sourires.
Du côté de chez Swann
Je les ai vues ce mois-ci, ces feuilles d’études, et pour la première fois je crois. En lisant ce passage aujourd’hui, elles dansent devant mes yeux, comme le sourire d’Odette.
D’ailleurs dans le désordre artiste, dans le pêle-mêle d’atelier, des pièces aux murs encore peints de couleurs sombres (...) l’Extrême-Orient, reculait de plus en plus devant l’invasion du XVIIIe siècle; et les coussins que, afin que je fusse plus «confortable», Mme Swann entassait et pétrissait derrière mon dos étaient semés de bouquets Louis XV, et non plus comme autrefois de dragons chinois. (...) Maintenant c’était plus rarement dans des robes de chambre japonaises qu’Odette recevait ses intimes, mais plutôt dans les soies claires et mousseuses de peignoirs Watteau desquelles elle faisait le geste de caresser sur ses seins l’écume fleurie, et dans lesquelles elle se baignait, se prélassait, s’ébattait avec un tel air de bien-être, de rafraîchissement de la peau, et des respirations si profondes, qu’elle semblait les considérer non pas comme décoratives à la façon d’un cadre, mais comme nécessaires(...). Elle avait l’habitude de dire qu’elle se passerait plus aisément de pain que d’art et de propreté, et qu’elle eût été plus triste de voir brûler la Joconde que des «foultitudes» de personnes qu’elle connaissait.

A l’ombre des jeunes filles en fleur
C’est la semaine des fins et des débuts : le mot fin devra obligatoirement être mis à un article et le premier mot du prochain devra logiquement être écrit. Il ne faut surtout pas se reposer sur ses lauriers. Et à la fin des cours correspond le début des révisions et la lente floraison des examens.
C’est la semaine de la renaissance, du grand ménage de printemps, de petits déjeuners et dîners entre amis, de films irlandais et italiens, de la joie qui monte comme la sève, quand la tête pleine de projets et d’envies on se retient de marcher sur les mains et de faire des cabrioles, quand on a de plus en plus de mal à cacher à certains la joie qui menace d’éclater à tout bout de champ. Une vraie libération.

dimanche 27 mars 2011

Ma fille, gardez-vous bien des éléphants !

Jardin du Luxembourg
Lors de cette semaine qui touche à sa fin, j’ai connu des moments merveilleux (un mercredi génial, un vendredi avec un avant-goût de vacances, un samedi idéal) ou sympathiques (lundi après-midi, mardi matin...) mais aussi d’autres assez accablants voire abracadabrants.
Quand on est fatigués, la moindre chose peut nous faire sombrer dans le désespoir. Un truc qu’on balaierait d’un revers de la main devient aussi énorme qu’un éléphant avec lequel on se retrouverait face à face dans un cul-de-sac. Il se rapproche, il se rapproche, il va nous réduire en pièces, vite, que faire ?
Mon nouveau truc, ai-je remarqué, c’est d’essayer de comprendre la motivation derrière une action, comme si, en démontant le mécanisme, j’allais pouvoir déjouer ses effets dévastateurs... Pour cela il faudrait qu’un Zola mette sur papier cette histoire pour en analyser les personnages ensuite... Mais pas de Zola en vue, pas la moindre Clé d’une oeuvre sur les étagères, et me voilà réduite à l’écriture automatique : une litanie de noms d’oiseaux !

«Mais Zola n’est pas un réaliste, madame! c’est un poète!» dit Mme de Guermantes (...).  Que Votre Altesse remarque comme il grandit tout ce qu’il touche. Vous me direz qu’il ne touche justement qu’à ce qui... porte bonheur! Mais il en fait quelque chose d’immense; il a le fumier épique! C’est l’Homère de la vidange! Il n’a pas assez de majuscules pour écrire le mot de Cambronne.

A la Recherche du temps perdu
La seule chose que me soufflait ma conscience, tentant de m’adoucir, était que Prudence était mère de sûreté. Souviens-toi de la fable de Jean de La Fontaine Le Rat et l’éléphant dont la morale rappelle qu’un rat n’est pas un éléphant ! Moi, un rat ?  
Oxford
L’éléphant casse-noisettes m’avait déjà broyé les doigts de pieds quand j’ai soudain pensé, très philosophiquement, que cet animal étant une espèce protégée qui se reproduit sous nos latitudes plus vite que la vermine, l’anéantir m’était impossible. La seule solution est donc de le tenir à distance, très très loin de soi, de mettre entre sa propre personne et lui des portes dérobées, des petits trous de souris. Quand il arrivera chargeant de toute sa masse, on se glisse dans sa cachette, et boum !, c’est lui qui s’écrabouillera sur le mur comme un imbécile. Ceci dit, je n’ai rien contre les éléphants, mais tout contre l’espèce casse-bonbons !

samedi 26 mars 2011

Jullienne aux petits oignons

Entre Oxford et Londres
J’étais allée voir Watteau et j’ai trouvé Jean de Jullienne, son mécène et ami. C’est son portrait par François de Troy, son bon visage, qui m’a plu : il portait une somptueuse robe de chambre et une perruque (ici). Je croyais n’avoir jamais entendu parler de lui alors que je l’avais vu sur L’Enseigne de Gersaint de Watteau la semaine dernière. Est-ce l’homme qui examine le tableau à droite de l’image (ici) ?
Ce que j’ai le plus aimé dans l’expo qui lui est consacrée, c’est le tableau de Salvator Rosa Paysage de rivière avec Apollon et la Sibylle de Cumes (ici). Je ne connaissais pas cette histoire mais pourtant l’art s’en est souvent saisi (ici).
Pendant qu'ils suivaient une route effrayante, à travers un sombre crépuscule, Enée dit à la Sibylle : « Que tu sois une déesse, ou seulement une mortelle chérie des dieux, tu seras toujours pour moi comme une divinité bienfaisante (...) ». Elle se retourne, et lui répond après un long soupir : «Je ne suis pas une déesse, et l'encens ne doit pas brûler en l'honneur d'une mortelle : apprends qui je suis : j'aurais eu le don d'une jeunesse éternelle et sans fin, si j'avais voulu céder aux désirs de Phébus. Il m'aimait ; et, dans sa passion, il espérait me séduire par des présents. « Vierge de Cumes, me dit-il un jour, forme un voeu, et ton voeu sera rempli ». Je pris une poignée de poussière, et je souhaitai follement autant d'années de vie, que j'avais de grains de poussière dans la main. J'oubliai de souhaiter aussi des années toujours jeunes ; le dieu me les aurait données : il m'offrait cette jeunesse, toujours renaissante, si je voulais me livrer à lui ; j'ai méprisé les dons de Phébus, et je suis restée vierge. Mais l'âge heureux a fui rapide ; elle est venue, de son pas tremblant, la triste vieillesse, que je dois si longtemps subir. Déjà j'ai vécu sept longs siècles, et, pour épuiser le nombre des grains de sable, il me reste encore trois cents moissons, trois cents vendanges à voir mûrir. Viendra le temps, où cette vie prolongée aura miné mon corps, où mes membres, lentement usés par la vieillesse, seront réduits à un atome insaisissable : alors, qui pourra voir en moi la femme autrefois désirée, et désirée par un dieu ? Phébus, lui aussi peut-être, ne me reconnaîtra plus, ou niera m'avoir aimée, tant je serai différente de moi-même. Invisible à tous, je n'aurai plus que la voix : c'est tout ce que les destins doivent me laisser ».

Livre XIV des Métamorphoses d’Ovide
A la Wallace Collection, dans une vitrine, juste en face du tableau qui avait appartenu jadis à Jean de Jullienne, se trouvait un livre où sont reproduits chaque pièce, chaque mur de sa maison de la rue des Gobelins à Paris (ici et ici) avec l’emplacement exact de chaque tableau. Sur la page de gauche de ce grimoire sont notés, d’une plume élégante, le nom et l’auteur du tableau : celui de Rosa s’appelle simplement Paysage. En passant de l’un à l’autre, j’ai imaginé Jean de Julienne dans le Paris du XVIIIe siècle,  contemplant cette oeuvre vêtu de sa robe de chambre.
La veille j’étais à la Bodleian Library d’Oxford pour l’exposition Shelley’s Ghost. Il faut bien réviser avant Frankenstein au National Theatre le mois prochain ! Il y a un lien ténu entre les deux expos : en 1818, Mary Shelley, dans la préface de son roman The Last Man, a révélé avoir découvert, dans une grotte près de Naples, des prophéties de la Sibylle de Cumes peintes sur des feuilles d’arbres – c’est ainsi que la Sibylle transmettait ses oracles.
Hier, moi aussi je visitais une grotte - la grotte Chauvet – par le truchement de la caméra de Werner Herzog. Dommage qu’il ait pensé bon de mettre des crocodiles mutants et de consacrer de trop longues minutes à un illuminé, ancien nez, qui proclame pouvoir découvrir les grottes en reniflant les rochers. C’était beau et émouvant malgré tout.
« C’est opéra »
Madame de Cambremer dans la Recherche
En regardant les chevaux peints par un de nos ancêtres de la Préhistoire, je pensais au  Rendez-vous de chasse de Watteau (ici) (la croupe du cheval dont descend une dame en jaune est d’un scintillant argent et or, c’est fascinant).

vendredi 25 mars 2011

Dernier recours

Une charmeuse d'avions
Je me suis promenée parmi des Watteau, des Greuze, des Boucher, des Fragonard, des Van Loo dans des salons aux tentures éclatantes, où l’on passait du salon vert, au bleu, au rouge, au jaune doré, en demandant à tous ces chefs d’oeuvre de m’aider à oublier les absurdités que je venais d’entendre. Et toutes les petites filles de Greuze, berçant leurs adorables  petits chiots ; la belle Madame de Pompadour dans son écrin de verdure sous le pinceau de Boucher; son amant Louis XV, si altier dans son manteau d’hermine ; les coquines dames de Watteau qui, sous prétexte d’une chasse en forêt, en profitent pour retrouver leurs galants... ils avaient beau me dévisager de leurs yeux si doux et compréhensifs, il y avait une telle tempête dans ma tête que même Horace Vernet n’aurait su la peindre ! « Faites-moi oublier les âneries que je viens d’entendre sinon je vais devenir zinzin », implorais-je, en vain. Il aurait fallu que j’entre carrément dans un tableau, que je prenne part à une fête galante dans les sous-bois sous le regard goguenard d’une statue lascive, que je danse un rigodon aux sons que Mazettin tirait de sa guitare pour pouvoir calmer mes esprits surchauffés...