samedi 26 mars 2011

Jullienne aux petits oignons

Entre Oxford et Londres
J’étais allée voir Watteau et j’ai trouvé Jean de Jullienne, son mécène et ami. C’est son portrait par François de Troy, son bon visage, qui m’a plu : il portait une somptueuse robe de chambre et une perruque (ici). Je croyais n’avoir jamais entendu parler de lui alors que je l’avais vu sur L’Enseigne de Gersaint de Watteau la semaine dernière. Est-ce l’homme qui examine le tableau à droite de l’image (ici) ?
Ce que j’ai le plus aimé dans l’expo qui lui est consacrée, c’est le tableau de Salvator Rosa Paysage de rivière avec Apollon et la Sibylle de Cumes (ici). Je ne connaissais pas cette histoire mais pourtant l’art s’en est souvent saisi (ici).
Pendant qu'ils suivaient une route effrayante, à travers un sombre crépuscule, Enée dit à la Sibylle : « Que tu sois une déesse, ou seulement une mortelle chérie des dieux, tu seras toujours pour moi comme une divinité bienfaisante (...) ». Elle se retourne, et lui répond après un long soupir : «Je ne suis pas une déesse, et l'encens ne doit pas brûler en l'honneur d'une mortelle : apprends qui je suis : j'aurais eu le don d'une jeunesse éternelle et sans fin, si j'avais voulu céder aux désirs de Phébus. Il m'aimait ; et, dans sa passion, il espérait me séduire par des présents. « Vierge de Cumes, me dit-il un jour, forme un voeu, et ton voeu sera rempli ». Je pris une poignée de poussière, et je souhaitai follement autant d'années de vie, que j'avais de grains de poussière dans la main. J'oubliai de souhaiter aussi des années toujours jeunes ; le dieu me les aurait données : il m'offrait cette jeunesse, toujours renaissante, si je voulais me livrer à lui ; j'ai méprisé les dons de Phébus, et je suis restée vierge. Mais l'âge heureux a fui rapide ; elle est venue, de son pas tremblant, la triste vieillesse, que je dois si longtemps subir. Déjà j'ai vécu sept longs siècles, et, pour épuiser le nombre des grains de sable, il me reste encore trois cents moissons, trois cents vendanges à voir mûrir. Viendra le temps, où cette vie prolongée aura miné mon corps, où mes membres, lentement usés par la vieillesse, seront réduits à un atome insaisissable : alors, qui pourra voir en moi la femme autrefois désirée, et désirée par un dieu ? Phébus, lui aussi peut-être, ne me reconnaîtra plus, ou niera m'avoir aimée, tant je serai différente de moi-même. Invisible à tous, je n'aurai plus que la voix : c'est tout ce que les destins doivent me laisser ».

Livre XIV des Métamorphoses d’Ovide
A la Wallace Collection, dans une vitrine, juste en face du tableau qui avait appartenu jadis à Jean de Jullienne, se trouvait un livre où sont reproduits chaque pièce, chaque mur de sa maison de la rue des Gobelins à Paris (ici et ici) avec l’emplacement exact de chaque tableau. Sur la page de gauche de ce grimoire sont notés, d’une plume élégante, le nom et l’auteur du tableau : celui de Rosa s’appelle simplement Paysage. En passant de l’un à l’autre, j’ai imaginé Jean de Julienne dans le Paris du XVIIIe siècle,  contemplant cette oeuvre vêtu de sa robe de chambre.
La veille j’étais à la Bodleian Library d’Oxford pour l’exposition Shelley’s Ghost. Il faut bien réviser avant Frankenstein au National Theatre le mois prochain ! Il y a un lien ténu entre les deux expos : en 1818, Mary Shelley, dans la préface de son roman The Last Man, a révélé avoir découvert, dans une grotte près de Naples, des prophéties de la Sibylle de Cumes peintes sur des feuilles d’arbres – c’est ainsi que la Sibylle transmettait ses oracles.
Hier, moi aussi je visitais une grotte - la grotte Chauvet – par le truchement de la caméra de Werner Herzog. Dommage qu’il ait pensé bon de mettre des crocodiles mutants et de consacrer de trop longues minutes à un illuminé, ancien nez, qui proclame pouvoir découvrir les grottes en reniflant les rochers. C’était beau et émouvant malgré tout.
« C’est opéra »
Madame de Cambremer dans la Recherche
En regardant les chevaux peints par un de nos ancêtres de la Préhistoire, je pensais au  Rendez-vous de chasse de Watteau (ici) (la croupe du cheval dont descend une dame en jaune est d’un scintillant argent et or, c’est fascinant).

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