vendredi 7 janvier 2011

J'adore cette histoire...

Lire sous la plume de Henriette-Lucie Dillon, Marquise de la Tour du Pin, l’histoire des derniers fastes de l’Ancien Régime me fascine (ci-dessous des extraits de son Journal d’une femme de cinquante ans). Avec le recul, tout le cérémonial de la cour paraît d’un futile... Quoique je me demande si tout cela a vraiment changé !

Il est peut-être intéressant de décrire le cérémonial de la cour du dimanche où brillait alors  [Marie-Antoinette]. Les femmes se rendaient, quelques minutes avant midi, dans le salon qui précédait la chambre de la reine. Il y avait toujours au moins quarante personnes, et souvent beaucoup plus. Elle avait un très beau teint et beaucoup d'éclat, et se montrait un peu jalouse de celles des jeunes femmes qui apportaient au grand jour de midi un teint de dix-sept ans, plus éclatant que le sien. Le mien était du nombre. Un jour, la duchesse de Duras, qui me protégeait beaucoup, me dit à l’oreille : «Ne vous mettez pas en face des fenêtres.» Je compris la recommandation, et me le tint pour dit à l'avenir. 
[A midi quarante minutes], la porte s'ouvrait et l'huissier annonçait : «Le roi !» La reine  s'avançait vers lui avec un air charmant, bienveillant et respectueux. Le roi faisait des signes de tête à droite et à gauche, parlait à quelques femmes qu'il connaissait, mais jamais aux jeunes. Il avait la vue si basse qu'il ne reconnaissait personne à trois pas.
À une heure moins un quart, on se mettait en mouvement pour aller à la messe. Le premier gentilhomme de la chambre, le capitaine des gardes prenaient les devants. Puis venaient le roi et la reine marchant l'un à côté de l'autre, et assez lentement pour dire un mot en passant aux nombreux courtisans qui faisaient la haie tout le long de la galerie. Derrière, venaient les dames selon leur rang. Les jeunes cherchaient à se placer aux ailes du bataillon, car on était quatre ou cinq de front, et celles d'entre elles qu'on disait être à la mode et dont j'avais l'honneur de faire partie, prenaient grand soin de marcher assez près de la haie pour recueillir les jolies choses qui leur étaient adressées bien bas au passage.
La messe finie, la reine faisait une profonde révérence au roi et l'on se remettait en marche dans l'ordre même où l'on était venu. On servait le dîner dans le premier salon, où se trouvaient une petite table rectangulaire avec deux couverts, et deux grands fauteuils verts placés l'un à côté de l'autre. Le roi mangeait de bon appétit, mais la reine n'ôtait pas ses gants et ne déployait pas sa serviette. Lorsque le roi avait bu, on s'en allait après avoir fait la révérence.
Alors commençait une véritable course pour aller faire sa cour aux princes et aux princesses de la famille royale, qui dînaient beaucoup plus tard. C'était à qui arriverait le plus vite. Ces visites duraient chacune trois ou quatre minutes seulement, car les salons des princes étaient si petits qu'ils se trouvaient dans la nécessité de congédier les premières venues pour faire place aux autres.
On regagnait ses appartements assez fatiguée, et comme on devait aller le soir au jeu, à 7 heures, on se tenait tranquille dans sa chambre pour ne pas déranger sa coiffure, surtout quand on avait été coiffée par Léonard, le plus fameux des coiffeurs.
Il fallait être arrivé avant que 7 heures n'eussent sonné, car la reine entrait avant que le timbre de la pendule ne frappât. Elle trouvait près de sa porte un des deux curés de Versailles qui lui remettait une bourse, et elle faisait la quête à chacun, hommes et femmes, en disant : Pour les pauvres, s'il vous plaît. Les femmes avaient chacune leur écu de six francs dans la main et les hommes leur louis. La reine percevait ce petit impôt charitable suivie du curé, qui rapportait souvent jusqu'à cent louis à ses pauvres, et jamais moins de cinquante.

Notre sécurité était si profonde que le 14 juillet à midi, ou même à une heure plus avancée de la journée, nous ne nous doutions, ni ma tante ni moi, qu'il y eût le moindre tumulte à Paris, et je montai dans ma voiture, avec une femme de chambre et un domestique sur le siège, pour m'en aller à Berny par la grande route de Sceaux qui traverse les bois de Verrières. La concierge, qui me connaissait bien, entendant une voiture, s'avança sur le perron et s'écria d'un air troublé et effaré : «Eh ! mon Dieu, madame ! Madame n'est pas ici. Personne n'est sorti de Paris. On a tiré le canon de la Bastille. Il y a eu un massacre. Quitter la ville est impossible. Les portes sont barricadées et gardées par les gardes françaises, qui se sont révoltés avec le peuple.» L'on conçoit mon étonnement, plus grand encore que mon inquiétude.

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