Tokyo |
Je le répète: l’Eau est égale au temps et procure à la beauté son double. En partie eau, nous servons la beauté de la même manière. En se frottant à l’eau, cette ville améliore l’allure du temps, embellit l’avenir. Parce que cette ville est immobile alors que nous sommes en mouvement. La larme en est la preuve. Parce que nous allons et que la beauté reste. Parce que nous sommes tournés vers l’avenir alors que la beauté est un éternel présent. La larme est une tentative pour demeurer, rester en arrière, se fondre avec la ville. Mais c’est contre les règles. La larme est un retour, un hommage de l’avenir au passé. Ou bien c’est ce que l’on obtient quand on soustrait le plus grand du plus petit : la beauté de l’homme. Il en va de même de l’amour parce que notre amour, lui aussi, est plus grand que nous.
Acqua Alta de Joseph Brodsky (Gallimard, 1992)
Tours |
Hier soir j’ai regardé A room and half de Andreï Khzhanovsky sur la vie de Joseph Brodsky. C’est un film magnifique, inventif, extraordinaire et surtout extrêmement émouvant. J’ai pleuré comme une fontaine.
Kyoto |
Le film est si beau, si ingénieux, si magistral, que rien que pour ça, j’y serais allée de ma petite larme, de toute façon. Sans compter l’histoire qui est poignante. Et puis Joseph Brodsky, poète, Prix Nobel de Littérature, né en 1940, est mort très jeune, en 1996. Mais si les grandes eaux se sont déclanchées, c’est parce que le film m’a replongée au début des années 1990, quand j’apprenais le russe encore. J’étais tombée par hasard sur une interview de Joseph Brodsky dans The Paris Review, une revue littéraire américaine, illustrée par une photo en noir et blanc représentant le poète à sa table de travail, dans un bureau baignant dans un désordre indescriptible. Il y avait quelque chose dans cet article et surtout dans la photo qui m’avait vraiment impressionnée, je ne saurais dire quoi. A l’époque il y avait régulièrement des poèmes de Brodsky dans le Times Literary Supplement, et j’ai gardé – je dois l’avoir quelque part – le poème qui lui rendait hommage après sa mort.
C’était toute une époque pour laquelle je n’éprouve aucune nostalgie, mais y penser m’émeut étrangement. J’étais passionnée par sa poésie, et à travers elle je m’étais intéressée à Anna Akhmatova, à Marina Tsvetaïva, et à tant d’autres poètes russes que je lisais directement en russe... Si ce n’était pour mes yeux gonflés qui me donnent l’air d’un batracien, ça me plaît de penser que, comme l’écrit Joseph Brodsky, mes larmes d’aujourd’hui rendent hommage à mon passé!
C’est de Venise en hiver - le grand amour de l'oeil - dont parle Joseph Brodsky dans son livre, mais parfois j’ai l’impression qu’il s’agit de Tokyo.
Je vais trouver ce livre, je vais le trouver... je cherche
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